« On ne devient pas naïf, on naît peintre naïf ou on ne le sera jamais. C’est un don comme un autre et ça ne dépend ni de la profession, ni de l’âge, ni du sexe… Les oeuvres des naïfs ne reflètent pas en général le peintre, l’homme; ce qui prouve une fois de plus que tout vient d’ailleurs… Il y a un mystère de l’art naïf, un mystère que l’on finira tôt ou tard par élucider; en attendant je ne trouve rien de mieux à dire que ces gens sont habités. »
Duffaut – comme Hyppolite, Benoît, Obin, Pierre-Joseph Valcin, André Pierre et plusieurs autres – est un peintre habité qui contribuera à part entière au phénomène pictural. Sensiblement, au fil des années, Duffaut « évolue ». Son imagination s’alimente de nouvelles réalités, sa technique s’affine. Symétrie, perspectives linéaires et couleurs le poussent vers une certaine sophistication. Dans ses villes satellisées, villes plongées en Enfer ou élevées jusqu’au Ciel, Duffaut se joue des lois de la pesanteur, de la résistance des matériaux et du principe des vases communiquants. Édifices et maisons particulières perdent leur identité et n’ont plus de rôle utilitaire. Symphonie de couleurs et de lignes mettent en valeur une architecture globale: urbanisme de l’imaginaire et de l’absurde. Parfois, le niveau de la mer est plus haut que celui des rivières; des ponts gigantesques relient de hautes montagnes; les chemins s’entrelacent, forment des spirales qui montent jusqu’aux cieux.
Pour certains critiques en mal d’interprétation, Duffaut devient un visionnaire conscient avant l’heure des problèmes et des fléaux qui vont s’abattre sur notre planète surpeuplée. Dans l’une de ses dernières toiles, un groupe de « naufragés » se presse et se bouscule sur le pont d’un bateau à la dérive: les naufragés s’aggripent et remontent le long d’une corde immense venant d’une ville de l’espace sidéral, satellite de l’espoir, bouée céleste, dernière chance de fuir notre planète, préfiguration de la survie de l’humanité par la conquête cosmique.
Science fiction ou tout simplement sourire narquois du paysan madré qui, d’instinct, a trouvé le plus sûr moyen de faire vibrer les cordes sensibles de nos intellectuels en mal de solutions de rechange: génie sans aucun doute et possibilité pour lui et sa nombreuse famille de faire face aux vicissitudes journalières. Désirs comblés pour cet artiste qui enfant, rêvait de devenir architecte, et qui voit deux de ses fils poursuivre à l’étranger des études universitaires… Laissons aux psychologues, psychanalystes, psychiatres et autres le soin de décoder les messages contenus dans l’oeuvre de Duffaut… Quant à lui, il sait qu’il a la baraka. « Préfète » qui, en créole, veut dire « né avant terme », prématuré, et qui plus est né « coiffé » ce qui ici en Haïti veut dire: élu des Dieux.
– Michel Monnin, carnets écrits entre 1975 et 1979 (inédits)
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