Lectures vol. 1, nº 1, pages 42-43 |
Et si l’enfance était un pays
Émile Ollivier, MILLE EAUX, Gallimard,
Coll. Haute Enfance, 172 p., 1999, 85FF
Émile Ollivier est de ces écrivains qui jamais ne sont
sortis de l’enfance. Son histoire a commencé là, à
Port-au-Prince, dans une famille de classe moyenne. Il a
appris à jouer avec les fantasmes de son père qui rêvait
d’un fils écrivain. Cette bio-fiction prend
souvent l’allure d’une mise en scène.
Émile Ollivier ne savait pas, nous a-t-il avoué, comment
entrer dans cette haute enfance, mais l’essentiel
est qu’il en est sorti avec un livre qui éclaire
autant son itinéraire que cette ville qui le suit
partout, dans ses errances.
Né à Port-au-Prince en 1940, Émile Ollivier est
sociologue et enseigne à l’Université de Montréal.
Il habite le Québec depuis 1965. Il a écrit entre autres
Mère-solitude, Albin Michel, 1983,
La discorde aux cent voix, Albin Michel, 1986,
Passages, Serpent à Plumes, 1994,
Les urnes scellées, Albin Michel.
Quand le vent se fait une amie
Joujou Turenne,
JOUJOU, AMIE DU VENT,
Montréal, CIDIHCA, 1998
Animatrice, chorégraphe et conteuse, Joujou Turenne
est née en Haïti et a grandi à Montréal. Sa parole,
comme le vent, contient le secret des hommes et des
femmes, et elle crie de Montréal à Port-au-Prince,
Yé ktik! Yé Krak! Est-ce que la cour dort? Si la cour
ne dort pas queue prête attention à ce qui
suit…
Rare voix que celle de Joujou Turenne, nous promenant
d’une histoire à une autre, avec toute la saveur
des contes ayant bercé notre enfance. Le livre, conçu et
fabriqué dans la joie et la beauté, nous ouvre à la
magie de la voix de la conteuse.
La poésie sonore
Anthony Phelps,
LA POÉSIE CONTEMPORAINE, CD.
Les Productions Caliban, 1977
Le poète Anthony Phelps engage un pari depuis tantôt
trois ans : une anthologie sonore de la littérature
h:iitienne. Le premier compact-disque Les beaux
poèmes d’amour d’Haïti littéraire
(Production Caliban, 1997) a permis de revisiter le
mouvement combien fertile des années soixante. Aussi des
poèmes de Roland Morisseau, de Davertige (Villard
Denis), d’Anthony Phelps, de René Philoctète, de
Serge Legagneur ont-ils permis de jeter un regard
d’ensemble sur les poètes de
Haïti littéraire.
Deux ans après, le deuxième compact-disque,
La poésie contemporaine d’Haïti, offre une
vision bien plus large de notre poésie. Cette fois-ci,
un choix de textes et d’auteurs (une quarantaine)
présente un panorama de la poésie contemporaine. Le seul
point d’achoppement est l’absence de
certains auteurs, et surtout la mise à l’écart de
la production poétique haïtienne en langue créole. Mais
le poète producteur Anthony Phelps nous a confié que
« le troisième CD de la série prendra en compte la
production créole. Il est conscient que pour les textes
créoles, il doit faire appel à un diseur capable de
faire sentir les sonorités de cette langue. »
Le travail de Phelps vient combler à coup sûr un vide.
Après les poèmes créoles sonores de Morisseau-Leroy, les
récits de Maurice Sixto, le livre sonore
Lapèsòn de Syto Cavé, les deux anthologies de
Phelps réorientent la poésie vers sa source première,
l’oralité.
La dernière goutte d’homme
Jean-Claude Fignolé, LA DERNIÈRE
GOUTTE D’HOMME
Bibliothèque Haïtienne
*, 1999, 179 p.
Le dernier Fignolé est enfin livré au public.
Signé à Paris en mars dernier à l’occasion du XIXe
salon du livre,
La dernière goutte d’homme est enfin
disponible en librairie.
L’auteur touche une zone jusqu’alors
inaccessible: celle de l’intérieur, qui converge
tous les regards vers le dedans des personnages. Cette
dernière goutte, et pour cause, propulse le roman
haïtien vers des zones d’ombres et des figures
nouvelles comme la représentation de
l’homosexualité, les rapports amoureux entre mère
et fils: Une femme peintre et écrivain. Un fils
musicien. Un jeune peintre talentueux, amant du fils.
Une écriture fine, fignolée. Un récit habilement agencé.
En fin de compte, une histoire à lire et à relire.
Le singe du dormeur
Syto Cavé, LE SINGE DU DORMEUR, nouvelles
Bibliothèque Haïtienne, 144 p.
Le dramaturge-poète Syto Cavé, qui écrit depuis plus de
vingt ans, a enfin publié son premier titre :
Le singe du dormeur. Le public, trop habitué à un
Cavé homme de théâtre, avait fini par oublier
qu’il affrontait souvent la solitude de la page
blanche où il inscrivait l’enfance, la mémoire, le
temps retrouvé.
Le recueil, Le singe du dormeur, rassemble des
récits courts, qu’on ne peut facilement
catégoriser. En effet, les indications génériques
(nouvelles) de la première de couverture sont remplacées
par récits en page intérieure. Il y a au départ, autant
pour l’éditeur, pour l’auteur que pour le
lecteur, l’impossibilité théorique de nommer ces
textes où le désir d’écrire bouscule celui de
raconter.
Une écriture, minimaliste à bonheur, qui saisit le temps
dans ce qu’il contient d’intériorité,
laissant de côté la narration comme telle et flirtant
tantôt avec le récit poétique, tantôt avec le poème en
prose. Les registres s’entrecroisent. Un beau
premier livre. Un livre à lire. Un talent de nouvelliste
à suivre.
Les chemins de Loco-Miroir
Lilas Desquiron, LES CHEMINS DE LOCO MIROIR,
roman,
Bibliothèque Haïtienne, 246 p.
Publié en 1990 chez Stock, Paris, le roman
Les chemins de Loco-Miroir de Lilas Desquiron est
repris par la Collection Bibliothèque Haïtienne.
Ce roman ouvre, sans complaisance, des chemins qui nous
aident à comprendre à travers les itinéraires croisés
des personnages (Violaine, Cocotte), les conflits de
caste, de couleur et les préjugés de cette
presqu’île sud d’Haïti.
La narratrice tente des incursions dans le merveilleux.
Balloté entre ce monde-ci et ce monde-là, le lecteur se
cherche des balises, pour enfin découvrir un livre écrit
d’une main habile. Ce roman, à sa première
publication, avait choqué à cause de sa sensualité, à
cause de vérités pas bonnes à dire. « Ma chérie,
n’oublie jamais, ce petit trésor que le bon Dieu a
placé entre tes jambes est indestructible. Il est à toi,
rien qu’a toi. Et c’est comme une assiette
de porcelaine: tu le laves, tu le savonnes et il est
comme neuf! »
La poésie comme une légende
Clément Magloire Saint-Aude
DIALOGUE DE MES LAMPES ET AUTRES TEXTES, oeuvres
complètes
Édition établie et présentée par François Leperlier
Paris, jeanmichelplace, 1998, 257 p.
L’aîné capital de la poésie moderne haïtienne,
Magloire Saint-Aude (1912-1971), est revenu sur la scène
littéraire, avec l’anthologie de François
Leperlier (JMP: 1997) qui en reprend les oeuvres
majeures: Dialogue de mes lampes, Tabou,
Déchu, textes en prose, correspondances…
Cette édition, illustrée de photos de l’auteur, de
dessins et eaux fortes de Wifredo Lam, Jorge Camacho,
Hervé Télémaque, Geo Ramponneau, Milo Rigaud et des
premières de couverture des oeuvres, permet de saisir
cette « tenace fascination du malheur » récurrente dans
l’oeuvre saint-audienne.
« Me passent, en ce monde, mon grimoire
Et aussi mes cils vieux »
Irrécupérable, maudit, hermétique, Saint-Aude aura
mérité de tous les qualificatifs… mais peut-être,
la réalité est que l’oeuvre de Saint-Aude, comme
celle d’autres auteurs haïtiens, Bélance par
exemple, ne soit pas encore lue.
André Breton fut l’un des premiers à attirer
l’attention sur la poésie saint-audienne:
« (…) le langage et l’attitude poétique y
sont portés à leur point extrême (…) » Georges
Castera, pour sa part, signale ces plages de silence
approprié. «Ni trop, ni trop peu. Toujours
l’essentiel».
POÈMES DE LA TERRE PÉNIBLE
Voix du sud, Voix du nord
Équateur/CIDIHCA, 1998, 267 p.
Trois recueils jusqu’ici: Insoupçonné, 1996; Le divan des alternances, 1978; et Poèmes de la terre pénible, 1998, qui représente à lui seul une somme de cent vingt-deux poèmes. Mais l’austérité s’arrête au titre et au nombre. Ces poèmes nous donnent plutôt un sentiment d’apaisement, de candeur et d’émerveillement: « La dame de la lune s’éloignait/dans sa barque ».
Au premier abord, ce qui frappe c’est la simplicité du propos. Si bien que les poèmes se lisent comme une suite ininterrompue où l’attention ne s’attarde guère aux titres. On se laisse prendre facilement à cet alliage de l’abstrait et du concret, le concret raptant l’abstrait au vol:
« L’ellipse d’un oiseau blanc
portant alors le bruit de la pensée. »
Aucune stridence ou si peu. Poème de la terre pénible est aussi « le livre du Temps », c’est aussi le livre du poète qui a vu grandir « les foetus de l’amour » mais c’est surtout le recueil du poète dont les « rêves aujourd’hui encore /retiennent s’asseoir / autour de la table de (son) enfance ». L’enfance des contes de fées, de la « visiteuse, / celle qui n’a pas de nom » et qui « viendra, une dernière fois dans la nuit… »
Le recueil peut être lu comme un hommage à la poésie et aux poètes, « Keats à cause de la beauté », Verlaine, Baudelaire, Magloire Saint-Aude, Nerval, Gongora… J.R. Laforest se souvient.
Par la place à part qu’il s’est aménagée dans la poésie haïtienne, on se rend de plus en plus compte à la lecture de Poèmes de la terre pénible qu’on n’a pas besoin d’être désespérément compliqué pour faire moderne. Il suffit d’être imprévisible, de crier « Il y a de la neige sur le dos amer du cheval de l’amour ».
Il y a aussi dans ce recueil comme un retour feutré à la foi de son enfance. jean Richard Laforest est ce poète, « homme de bois mort maintenant l’homme devenu sec par ces temps de carence… » « patientant ainsi » jusqu’à « l’ainsi soit-il de la vie ».
Des récits créoles
Raoul Altidor, KOULÈ MIDI
Éditions
Mémoire, Coll. Félix Morisseau-Leroy, 1999, 72 p.
Une expérience rare dans la littérature haïtienne que
ce titre! Côté création, des nouvelles qui rompent avec
la surcharge et/ou les mille détours du récit créole
traditionnel haïtien; côté réception, premier titre
haïtien en créole, à avoir pignon sur la librairie
virtuelle amazon.com.
Mais le secret réside surtout dans la langue de Raoul
Altidor. Sans fioriture, ni enflure métaphorique,
l’auteur nous présente des nouvelles dépouillées
où le désir de raconter ses histoires d’aventurier
de la contrée perdue priment sur les conflits de
créolisants (orthographe/lexique/syntaxe).
Ces brefs récits proposent une autre manière
d’investir la narration en créole…
L’attente est déjà grande chez les lecteurs, qui
voient dans ce premier livre des signes de la maturité!
*La collection Bibliothèque Haïtienne, (B H) est publiée conjointement par les Éditions Regain, les Éditions Mémoire et les Éditions du CIDIHCA. [retour au texte]